CHRONIQUE D'UNE DÉMOCRATIE ANNONCÉE-Publication intégrale

Publié le par O. Tity Faye

IX. LA CRISE ANTICIPÉE DE L’ASSEMBLÉE NATIONALE

L’installation de l’Assemblée nationale annonce la naissance de la 3ème République en Guinée. Elle se distingue du régime totalitaire (1960-1984) et du régime militaire d’exception (1984-1992) du fait que les institutions mises en place devraient, désormais, fonctionner selon les principes et idéaux de Démocratie libérale. Mais cette 3ème République démarre sur fond de crises qui résultent de la gestion du processus de transition dont les élections nationales.

Avant même son installation, l’Assemblée nationale issue des élections législatives contestées autant que l’élection présidentielle de 1993, était sous la menace d’une crise. Après sa défaite aux élections présidentielles, l’opposition guinéenne avait reporté ses ambitions sur la possibilité d’un partage du pouvoir par une prise d’assaut de l’Assemblée nationale : le pouvoir législatif. Un tel cas de figure aurait pu ouvrir les portes à un dialogue sur la gestion des affaires publiques.

Les résultats provisoires publiés, le 14 juin 1995, réduisirent à néant cette perspective. Le tableau de la future Assemblée nationale présentait 71 sièges au compte du Pup sur les 114 sièges prévus. Le reste des 43 sièges étaient repartis entre les autres partis politiques. Les éléments d’une logique de confrontation étaient réunis.

IX.1 - La Codem, une force de négociation

L’aile dure de l’opposition va affuter son arme sous la forme d’une alliance, la Convention de l’opposition démocratique (Codem). Ces partis politiques de la Codem, avaient publié une déclaration qui consterna l’opinion publique nationale en informant l’opinion internationale de leur décision : les partis politiques signataires de la déclaration refusent de reconnaître les résultats du scrutin et de siéger à l’Assemblée nationale.

DÉCLARATION COMMUNE 

Compte tenu des informations inquiétantes relatives aux manipulations au sein des commissions préfectorales et nationales de centralisation des résultats des élections législatives au bénéfice du Pup, les partis signataires soumettent au peuple de Guinée et à l’opinion internationale le mémorandum ci-joint et déclarent ce qui suit :

  1. Depuis le commencement de la campagne électorale, ils ont fait preuve de bonne volonté, de sérénité et de responsabilité afin que les élections se déroulent dans le calme, la transparence.
  2. Ce fait a été relevé par tous les observateurs étrangers.
  3. Ils ont partout refusé de répondre aux provocations et ont agi afin que le scrutin soit incontestable, et ce malgré l’immixtion flagrante, illégale et inadmissible de l’administration et du chef de l’État en personne dans la campagne au profit du Pup.
  4. Malheureusement, ils constatent aujourd’hui que les autorités procèdent à des manœuvres frauduleuses grossières en modifiant les procès-verbaux et en déclarant le Pup vainqueur dans les circonscriptions ou de toute évidence, il ne pouvait pas gagner.
  5. Les partis signataires considèrent que cette fraude est tellement scandaleuse qu’ils ne jugent pas nécessaire ni d’attendre la proclamation des résultats ni d’aller devant la Cour suprême.

En conséquence, ils décident :

a/- de considérer comme nulle et non avenue cette mascarade électorale et nulle et non avenue cette comédie des commissions de centralisation des données du scrutin à tous les niveaux ;

b/- de retirer tous les représentants de toutes les structures mises en place pour l’organisation des présentes élections législatives (Commission électorale nationale, commissions diverses,)

c/- de n’accepter aucun des résultats qui seront proclamés dans les conditions décrites plus haut ;

d/- de ne pas reconnaître une telle Assemblée ;

e/- de refuser de siéger dans une Assemblée qui n’est pas l’émanation du peuple de Guinée.

Le climat d’intimidation et de mauvais souvenir de l’élection présidentielle ont amené les électeurs à s’abstenir massivement de voter. Les partis signataires rendent, dès maintenant, le gouvernement seul responsable des conséquences qui ne découleront que de sa propension notoire au vol, à l’intimidation et à la tricherie. Et, en appelle, une fois encore, à l’opinion nationale et internationale pour qu’elle apporte son soutien total à la création d’un véritable État de droit en Guinée.

P/l’Unr le président Bâ Mamadou Boye ; P/le Rpg, le président Alpha Condé ; P/le Prp, le Secrétaire général Siradiou Diallo

P/l’Upg, le Secrétaire général Jean Marie Doré.

La première réaction publique du pouvoir en place a été de convoquer une session extraordinaire des ministres pour prendre acte de la décision des partis politiques signataires. Cette réunion fut élargie aux gouverneurs de la zone spéciale de Conakry et des quatre autres régions administratives (ou provinces) de Labé, Kankan, Mamou, Nzérékoré regroupant les différentes préfectures.

En vue de protester contre les résultats des élections législatives, la Convention de l’opposition démocratique (Codem) est créée le 6 juillet 1995, au siège du Prp à Lanséboundji, dans la commune de Matam, à Conakry. Elle réunit 12 partis politiques dont les quatre de l’aile radicale : le Rpg du Pr. Alpha Condé, le Prp du journaliste Siradiou Diallo, l’Unr du consultant Bâ Mamadou, l’Upg de l’ancien fonctionnaire du Bureau internationale du travail (Bit), Jean Marie Doré.

Au cours de ce mois de juillet, les partis de la Codem, pour démontrer qu’ils bénéficiaient du soutien populaire, donnèrent le mot d’ordre pour déclencher une série de « Journées Villes mortes ». Elles visaient à paralyser les activités dans la capitale et le pays.

Le pouvoir a réprimé toutes les manifestations liées à l’organisation de ces journées par des interpellations et des arrestations de militants des partis politiques impliqués. Ce fut une dissuasion musclée ! 

L’opinion publique nationale, était convaincue qu’il n’y aura pas de véritable décrispation si les partis signataires de la déclaration ne siégeaient pas à l’Assemblée nationale. Avec le Pup, seul maitre à bord, on allait au-devant d’une remise en question de l’ensemble du processus démocratique en Guinée.

Au sein de cette opinion nationale, craignant un retour au système totalitaire de parti unique, la colère monte. Le pouvoir en place ne se prive pas, alors, d’accuser l’opposition d’être responsable d’une possible rupture du processus démocratique. Les leaders étaient acculés à mieux motiver la décision.

Les signataires de la déclaration ont organisé, pour ce faire, diverses conférences de presse. Face aux accusations de comportement antidémocratique, Alpha Condé du Rpg, avait précisé : « Nous n’avons pas démissionné, nous disons que nous ne siégeons pas ». Jean Marie Doré de l’Upg avait expliqué : « Les 40 députés veulent siéger dans les conditions de dignité pour voter de bonne foi ».

Bien que comprenant les inquiétudes de ces partis politiques de l’opposition, une grande partie de l’opinion guinéenne voulait une Assemblée nationale où le débat contradictoire permettrait de mieux contrôler la gestion des affaires publiques. Même l’électorat des partis politiques de l’opposition avait du mal à accepter d’avoir consenti des efforts et des sacrifices pour un résultat de non-participation au pouvoir. Cette attitude de leurs militants a été, plus que les négociations officieuses, dont il fut question, la pression la plus forte sur les leaders signataires de la déclaration, regroupés au sein de la Codem.

Par-dessus tout, l’existence même de la Codem avec une plateforme commune de revendications et un porte-parole unique en le président de l’Unr, Bâ Mamadou, apporta aux leaders de l’opposition une nouvelle crédibilité. Enfin, il y avait en face du pouvoir en place une force de blocage, donc de négociation !

Pendant que le bras de fer se poursuivait, une alliance antithétique de la Codem va se créer : le parti Dyama de Mansour Kaba associée à la création du groupe des Partis du consensus national (Pcn) avec notamment le Pdg-Rda d’El hadj Ghussein, le Mdp d’Ahmed Tidiane Cissé. Cette alliance s’est érigée contre la déclaration et l’attitude de la Codem.

Lors d’une conférence de presse, Mansour Kaba déclara : « nous refusons la politique de la chaise vide qui est un suicide politique. Nous défendrons à l’Assemblée nationale les positions de l’opposition non violente »[i]. Une référence à l’organisation des « journées ville morte » par la Codem qui avait engendré des confrontations violentes avec les forces de l’ordre.

Au milieu des tiraillements et des explications, l’Union européenne en association avec les pays de l’Europe Centrale et de l’Est était intervenue. Publiée à Bruxelles, sa déclaration disait qu’elle « accepte de se rallier à l’opinion de nombreux observateurs pour certifier que les élections sont globalement acceptables et les résultats du scrutin relèvent de la volonté populaire ».

Ce fut, sans conteste, un des facteurs importants qui amena les partis politiques membres de la Codem à reconsidérer leur position pour siéger à l’Assemblée nationale. Pour le pouvoir en place, la peur de l’isolement entrainant une réticence des investisseurs étrangers et la pression probable de capitales européennes, s’estompaient.

Les positions des partis politiques, signataires de la déclaration de la Codem, évoluèrent vers un règlement de la crise.

Le 21 juillet, Au cours d’un point de presse, le porte-parole de la Codem, le leader de l’Unr, Bâ Mamadou Boye déclara : « Nous voulons garantir nos droits et nos libertés pour aller siéger à l’Assemblée nationale ». Le 1er Août, Jean Marie Doré de l’Upg révéla, lors d’un autre point de presse, que des négociations en cours étaient en voie d’aboutissement. Le parti Dyama dénoncera plus tard son alliance avec le Pcn pour rejoindre les différentes coalitions de l’opposition radicale.

IX.2 – Les perturbations du Pup

Le Pup, parti majoritaire à l’Assemblée nationale devait faire face à cette crise anticipée en même temps que la gestion des soubresauts de la mouvance présidentielle. Les mécontentements larvés découlaient du choix des candidats à la députation du parti. Il y avait, encore, des difficultés pour le choix des membres du bureau de l’Assemblée nationale.

S’agissant en particulier du président de l’Assemblée nationale, les tendances étaient orientées, diversement, en faveur de potentiels candidats tels que : le Secrétaire général du Pup, El hadj Boubacar Biro Diallo ; son adjoint, Aboubacar Somparé, technocrate formé sous la révolution ; et le candidat présomptif et ami personnel du président de la République, le commandant Sory Doumbouya. Ce dernier avait, déjà, assuré la présidence de l’organe para-législatif de la transition démocratique, le Comité transitoire de redressement national (Ctrn).

Il y eut des compromis favorisant la carte d’El hadj Boubacar Biro Diallo pour la présidence de l’Assemblée nationale. Le scénario permettait à Aboubacar Somparé de récupérer la direction du Pup qu’il avait dû céder pour taire les dissensions et éviter l’éclatement du Pup à sa naissance. Cette fois, c’est le président de la République qui, à son corps défendant, renonce à son candidat. Il y avait, également, à contenter les partis politiques de la mouvance présidentielle et à consolider une alliance avec les Partis du consensus national. Ceux-là avaient des sons de cloche autre que les radicaux de l’opposition.

 

 

 

 



[i]  Conférence de presse au siège du parti Dyama, Conakry – Juillet 1995.

 

 

 

Publié dans Politique

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